Vraignes-en-Vermandois

A la recherche du Passé de Pœuilly et de ses environs : des passionnés ont remonté l'Histoire...


HECTOR CRINON

Poète picard de VRAIGNES-en-Vermandois


  Hector CRINON est né à Vraignes le 10 août 1807. Il y a vécu toute sa vie et il y est mort en 1870. Il est inhumé dans le cimetière du village où l’on peut encore voir sa tombe et la plaque mortuaire qui indique « Hector Crinon - haricotchi, Ecriveux , Intailleux d’estatues ».
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   Il se définissait lui-même comme « haricotier », c’est-à-dire un petit paysan, pauvre, avec une famille à nourrir et pour qui la vie n’est pas facile.

  Vraignes comptait à l’époque 250 habitants. L’essentiel de la vie se déroulait au village. Il y avait peu d’occasions d’aller à la ville. Cependant Hector Crinon, ayant fait preuve très tôt de dons pour le travail artistique du bois, eut la possibilité d’apprendre la sculpture dans l’atelier d’un « éminent artiste » à Péronne. Ayant acquis de l’expérience dans le métier, il a contribué par la suite à la restauration de diverses statues de l’église Saint-Jean de Péronne, dont une statue de Saint-Fursy, patron de la ville, qui provenait de l’ancienne église. C’est lui également qui a sculpté la croix et le Christ en bois qui dominent l’autel dans l’église de Vraignes.

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Monsieur Poutrain, qui était Secrétaire de mairie à Vraignes dans les années 1980 racontait l’anecdote suivante : « Pourquoi dit-on que le Christ de Vraignes aurait fait plus de tours…que de miracles ? »
- « Parce qu’il aurait été sculpté dans l’axe d’une roue d’une meule d’un moulin. »

  Mais Crinon était aussi et d’abord un paysan. A l’époque, la mécanisation en est à ses tout-débuts et elle n’a pas encore atteint les campagnes. La culture se pratique encore avec les outils traditionnels, avec les chevaux, mais aussi beaucoup à la force du poignet. Le travail des champs est physiquement difficile ; les paysans cultivent quelques hectares et élèvent quelques bêtes. On peut en vivre, mais sans faire d’excès, sauf en quelques occasions, pour des fêtes familiales par exemple.

  La vie de paysan le mène à connaître et à apprécier la nature.

  Passionné de lecture depuis son jeune âge, il aime à s’isoler pour lire tranquillement dans ce lieu qu’on nomme aujourd’hui encore « La vallée perdue ».

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  C’est là aussi qu’il ira régulièrement se poser pour trouver l’inspiration et pour écrire une grande part de ses œuvres. La plus connue, « Les satires picardes », qu’il aurait commencé à écrire après 1848, a été publiée en 1863 et c’est par elle qu’il connut une certaine notoriété. Cet ouvrage est composé de textes divers, d’abord publiés dans les gazettes de Péronne et de Saint-Quentin, portant sur des thèmes liés à la vie quotidienne à la campagne dont voici quelques titres : « Petites misères de la vie des campagnards », « Le bonheur des pauvres », « Sur l’ivrognerie », « Sur l’avarice », « Sur le luxe », « L’orgueil », « Sur les femmes », « Sur la politique », « Les partageux », « Restons au village », « Sur le matérialisme », « La campagne et la ville », « Sur le bon Dieu », « Mon testament », « Le malade»…

  Hormis trois ou quatre chansons écrites en langue française, son oeuvre est entièrement en Picard, puisque c’était la langue parlée, à l’époque, dans nos villages de Picardie. Dans l’étude littéraire publiée en 1970 par René Debrie et Pierre Garnier à l’occasion du centenaire de la mort de Crinon, on peut lire : « Le plaisir éprouvé à lire Crinon est le plaisir éprouvé à lire le picard, tant cette langue est par elle-même musique, articulations, gestes. »

  Poète-paysan, Crinon était ouvert sur le monde et sur la politique. A ce titre, il est intéressant de porter un regard sur la période historique au cours de laquelle il a vécu. Période troublée et instable socialement et politiquement.

  Quand il est né en 1807 et durant son enfance, les souvenirs de la révolution française de 1789 étaient encore proches. Napoléon était alors au pouvoir jusqu’au moment de son abdication en 1814. Puis, après l’empire, ce fut la 1ère restauration de la monarchie avec Louis XVIII qui règna de 1814 à 1824, avec toutefois deux parenthèses qui se sont succédées : « Les cent jours » qui voient le retour de Napoléon et la défaite de Warteloo, puis le très bref passage (d’une durée de 15 jours) de Napoléon II comme empereur des Français suite à la seconde abdication de Napoléon 1er le 23 juin 1815. Louis XVIII meurt le 16 septembre 1824. Charles X lui succède. Il mènera une politique ultra-royaliste et anti-sociale qui conduira à la révolution de 1830. Il sera alors renversé. Louis-Philippe règnera ensuite, jusqu’à la révolution de 1848. Celle-ci débouche sur la IIème république. Louis-Napoléon-Bonaparte, neveu de Napoléon 1er, est élu Président de la République. Peu après, par le coup d’Etat du 2 décembre 1851, il devient empereur avec l’approbation de la majorité de la population et il prend le nom de Napoléon III ; c’est le Second Empire…jusqu’à la bataille de Sedan en 1870 (début de la guerre avec les Prussiens) au terme de laquelle Napoléon III subira une défaite humiliante.

  Le 4 Septembre 1870, au jour même de la mort de Crinon, c’est la proclamation de la IIIème République.

  Durant ses années de jeunesse, (il a 22 ans quand éclate la révolution de 1830), attentif déjà à la vie politique du pays, il s’engage en écrivant des chansons exprimant ses opinions, clairement du côté de la révolution. Il publiera d’ailleurs à cette époque un ouvrage composé de trois cahiers dont les couleurs étaient respectivement le rouge, le blanc et le bleu, si populaires depuis la Révolution de 1789 et, nous dit J.B. Tilloy, contemporain de Crinon : « Le fond (n’était) pas moins tricolore que la forme ». Il a évolué ensuite, dans les moments de la révolution de 1848, choisissant plutôt le parti de l’ordre. Il s’est alors tourné vers des écrits s’adressant davantage à l’homme dans son individualité, invitant ceux qui le lisent à réfléchir sur ce qu’il considère comme les maux profonds de la société : l’orgueil, l’ambition, l’envie, l’égoïsme…

  Ce sont ces textes porteurs d’une réflexion morale et philosophique qui, publiés en 1863 sous le titre « les satires picardes », lui ouvriront les portes de la postérité.

  Il écrira aussi quelques chansons dans les années 1850 et 1860.

   Sa chanson la plus connue reste « El trip’ed vaque », chantée encore de nos jours ; elle est aussi parfois répertoriée sous le titre « El trip’ perdue ».

  Mais, depuis 1860 déjà, il est atteint d’une grave maladie qui le conduira à la paralysie. Il en mourra en 1870.

  En 1892, un buste en bronze représentant Crinon fut inauguré dans son village, sur un terrain proche de la maison où il avait habité.

  En 1907, le centenaire de sa naissance a été dignement célébré à Vraignes avec « plus de mille personnes » présentes venues de tous les villages environnants.

  En 1970, en préparation du centenaire de la mort de Crinon, l’association Eklitra a publié un livret consacré à Hector Crinon : « Etude littéraire et lexique de sa langue ». A l’initiative de cette association, un nouveau buste d’Hector Crinon, cette fois-ci en pierre, a été édifié sur le même emplacement que le précédent ; celui-ci avait été emporté par les Allemands vers la fin de la 2ème guerre mondiale pour être fondu. Ce nouveau buste a été inauguré le 14 mai 1972.

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Sources et bibliographie :

Hector CRINON - Etude littéraire et lexique de sa langue – Eklitra XII – de R. DEBRIE et P. GARNIER 1970.
H. Crinon - Satires picardes et autres oeuvres – Université de Picardie, Centre d’Etudes Picardes - 1982.
Les satires picardes – Textes en picard et en français traduits par G. Guilbert et B. Plaquet – Editions de la Vague verte – 2006.
ARHL- P.Leroy- juillet 2015.
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